Il y avait 198 coureurs dans le peloton mais en trois semaines Christopher Froome ne s’est finalement découvert qu’un seul adversaire à son niveau : le coriace Colombien Nairo Quintana qui perd le Tour 2015 pour 1 minute 12 !
Un écart minime que le petit grimpeur de Tunja aurait peut-être pu combler s’il n’avait pas attendu les deux dernières étapes des Alpes pour prendre l’initiative et mettre le maillot jaune dans le rouge ! Un constat d’échec qui doit logiquement donner des regrets à l’état-major de la Movistar, seule formation à disposer de deux atouts majeurs, avec Quintana et Valverde qui terminent tous deux sur le podium, mais qui n’a pas su profiter ou créer des circonstances de course favorables à un coup d’état pour tenter de reprendre les 2’36 perdues durant les premiers dix jours.
Ce fut notamment le cas vers La Toussuire où Froome, isolé, s’offrait en victime alors que Nibali caracolait en tête. Mais tous étaient à fond à ses côtés, et il a fallu attendre les 5 derniers kilomètres pour que Quintana place enfin son accélération. Trop tard pour gagner au poker ! Froome a calé mais a su gérer et n’a concédé que 36 secondes à son principal rival, bonification comprise. Il n’empêche qu’une fissure était apparue sur la façade de la Sky, le jour même où Geraint Thomas (4ème du général), à la ramasse, condédait 22 minutes à l’arrivée !
Pour Froome, usé par un règne de quinze jours en jaune et « sauvé » le lendemain sur les pentes de l’Alpe d’Huez par Wouter Poels et Richie Porte, il était temps que tout s’achève et surtout que la banderole d’arrivée soit en vue. Car l’offensive de Quintana, alors qu’il restait cette fois 12 km d’ascension, a bien failli provoquer un coup de théâtre inespéré ! Froome mis en difficulté, proche du point de rupture dans le sillage de ses deux équipiers et incapable de prendre le moindre relais. Froome sur la défensive, en grande souffrance, mais encore suffisamment lucide pour ne pas paniquer et subir à distance l’avance de Quintana le conquistador qui grapillait seconde par seconde dans l’espoir fou, mais vain, d’effacer tout son retard (2’38) au classement général.
Une de ces fins d’étape sans aucune retenue, au milieu d’une foule invraisemblable et hystérique. Où tout le monde se lâche, où il n’y a plus de gagne-petit, comme on l’a vu depuis les Pyrénées. Comme on en rêve depuis longtemps et qui donnent au sport cycliste une dimension supplémentaire et extraordinaire. Avec des efforts paroxystiques pour chacun, avec des émotions, du suspense, de l’incertitude. Et en fin de compte un Quintana retrouvé mais frustré car la victoire d’étape a été pour le méritant Thibaut Pinot, magnifique de résistance et de combativité. Et Froome n’a cédé « que » 1’26 au Colombien. Pas assez pour le renverser mais suffisant pour conserver le maillot jaune et entrevoir un deuxième sacre à Paris après celui de 2012. Déjà devant le jeune Quintana, qui aura été son seul réel rival sur les quatre favoris annoncés cette année.
Nibali, le vainqueur du Tour 2013, s’en sort bien avec un succès d’étape qui le réhabilite aux yeux de l’opinion publique après une sensationnelle chevauchée solitaire vers La Toussuire via la Croix-de-Fer et le col du Mollard, mais Contador n’a pas été à la hauteur, accablé par la malchance et fatigué par son Giro victorieux en mai. Quant à Van Garderen, propulsé sur le devant de la scène par la victoire des BMC dans le chrono par équipes, il n’a pas tenu le choc jusqu’au bout.
Pour Chris Froome, il aura suffit d’une course de côte de 15 km sur les pentes du col de Soudet pour conquérir un nouveau maillot jaune. Certes, le grand favori a passé cette fois sans encombre, au contraire de tous ses adversaires pressentis, les étapes piégeuses du début, celles des bordures de Zélande, des pavés du Cambraisis. Il s’est positionné sur les hauteurs du mur de Huy et à Mur-de-Bretagne, a échappé aux chutes qui l’avaient éliminé en 2013 et profité du chrono par équipes pour atteindre le premier jour de repos en toute confiance. Et pour atomiser le lendemain, dans une canicule insupportable (38 degrés) une opposition scotchée à la route dans l’ascension vers la Pierre-Saint-Martin. En 40 minutes, le Tour 2015 était joué !
Sur les onze étapes restantes, Froome a dû se défendre, certes, face à des attaques d’une opposition en lambeaux. Des banderilles, plutôt, comme vers le Plateau-de-Beille. Il y avait de l’intention et de la volonté dans ces actions vélléitaires de Valverde-Quintana, Contador, Nibali. Mais la poudre était mouillée et les coups de fusil de simples pétards insignifiants. Pas un n’évoluait à son véritable niveau. Tous déjà contents de pouvoir suivre l’Anglais après sa démonstration pyrénéenne, sujette à caution pour beaucoup, et qui a fait naître de nombreuses questions sur ses possibilités physiques.
Froome et la Sky n’ont pas failli. Ils ont faibli en certaines circonstances mais ont toujours su conserver le contrôle de la situation. Personne n’a été capable de remettre en question leur autorité et leur supériorité. Sauf le pugnace Quintana qui aura mis du temps à sortir de sa réserve. Trop pour faire oublier une première semaine calamiteuse (1’28 perdue à Port Zélande, 11’’ au mur de Huy, 1’04 à La Pierre-Saint-Martin). Avec ses qualités et son tempérament de lutteur, l’avenir lui appartient, tant qu’il y aura autant de cols au programme et aussi peu de chronos individuels. Mais tout change d’une année à l’autre et il n’est pas dit qu’il retrouve une si belle occasion.
Quant aux Français, annoncés parmi les outsiders pour le classement général, ils terminent mieux qu’ils n’ont commencé. Avec trois victoires d’étape (Alexis Vuillermoz à Mur-de-Bretagne, Romain Bardet à Saint-Jean-de-Maurienne et Pinot à l’Alpe d’Huez), ils limitent les dégâts après une mise en route très, très laborieuse (bordures de Zélande, crevaison de Pinot sur les pavés) qui leur a fait perdre beaucoup de temps, en particulier la montée de La Pierre-Saint-Martin qui aura été leur chemin de croix. Une réussite inespérée qui met du baume sur leurs déceptions et fait oublier leurs nombreux déboires, notamment des chutes dont l’une a envoyé William Bonnet à l’hôpital avec fractures de vertèbres cervicales.
Pour ma part, je fais mon mea culpa. J’avais vu Pinot ou Bardet sur le podium, le jeune Barguil comme une révélation, mais je ne savais pas que tous trois (ainsi que Péraud, entre autres) seraient accablés par la malchance. Ils ont tenu bon malgré les blessures physiques et psychologiques, se sont magnifiquement repris et s’inscrivent dans un avenir très prometteur. J’étais simplement en avance sur le temps.
Bertrand Duboux
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