" Victime " de son succès et du cirque qui l'accompagne, le Tour de France a totalement occulté les autres compétitions cyclistes auprès du public, mais aussi des coureurs.
Il fut un temps où le sport cycliste n’était pas encore dans les mains des médecins, ni des préparateurs physiques, des managers et des agents. La saison commençait en douceur, avec Paris-Nice et Tirreno-Adriatico, début mars. Puis venaient les Classiques, le Tour de Romandie, le Giro, éventuellement le Tour de Suisse. En juin, le Critérium du Dauphiné était le tremplin pour le Tour de France. Il y avait aussi les Quatre Jours de Dunkerque, le Midi Libre. Le champion se préparait selon son expérience et ce qu’il savait de son sport. C’était le temps du classicisme, d’un certain empirisme aussi et il a fallu une décennie, les années 80, pour que le vélo fasse sa révolution et se projette dans le futur.
Aujourd’hui, tout est devenu beaucoup plus compliqué. Des courses ont disparu à cause de l’augmentation des coûts, des contraintes d’organisation, de l’absence de soutien télévisuel ; d’autres sont venues les remplacer à l’autre bout du monde et allonger le calendrier international. C’est la course à la mondialisation à laquelle n’échappe pas le cyclisme désormais soumis aux gros investisseurs et à la loi de l’argent.
Devenu un gigantesque Barnun, avec des retombées médiatiques planétaires, le Tour de France est plus que jamais le sommet de la saison cycliste. Non seulement il conditionne le calendrier des équipes et des coureurs mais aussi Monsieur Tout-le-monde, qui ne voit plus que lui. Pour le public, la saison de vélo commence avec le Tour de France et se termine avec l’arrivée sur les Champs Elysées ! C’est regrettable. Et, à l’exception de Paris-Roubaix tant pis pour les autres « monuments » du cyclisme, ceux qui ont écrit son histoire et forgé sa légende. Même le championnat du monde sur route a perdu de son intérêt.
Fort de ce constat, on garde désormais les pur-sang à l’écurie pour l’échéance de juillet, on les économise, on les bichonne, on les « prépare » selon des protocoles précis désormais, loin des curieux et du théâtre des opérations. Parfois on les sort quelques jours çà et là, pour leur faire prendre l’air et pour qu’ils n’oublient pas qu’ils sont payés pour courir ! Mais en évitant de côtoyer les autres favoris. Le cyclisme est devenu un sport « à la carte » qui transforme en comptables les champions actuels. On veut bien pédaler dans des épreuves moins cotées mais sans trop appuyer. Ils sont rares ceux qui acceptent, comme Cadel Evans et Contador, de sortir de leur réserve au printemps, et d’être opérationnels en juillet. Et plus rares encore ceux qui dépassent aujourd’hui les 80 jours de course, quand Merckx en comptait jusqu’à 150 dans les années 70 ! Et on ne parle pas de palmarès…
A la base de cette évolution, l’argent a changé les mentalités. Le marketing, la publicité, rien n’est plus comme avant. Les budgets d’équipes ont explosé, les salaires aussi, surtout ceux des champions actuels et de leurs managers. Mais pour le reste, combien de pauvres bougres et même de smicards par rapport aux efforts qu’exige le sport cycliste ? Tous n’ont pas la chance d’appartenir à une équipe du World Tour et de faire partie de l’élite du milieu. Beaucoup doivent arriver avec leur(s) propre(s) sponsor(s) pour obtenir une place en 2ème ou 3ème division.
Ceux-là ne verront jamais le Tour de France, ou alors sur leur écran TV. C’est là d’ailleurs qu’on mesure l’impact d’une marque ou d’un produit. La force de l’organisation est de parvenir à imposer ses partenaires dans la mémoire collective. Tout est fait pour médiatiser à l’extrême le moindre événement, le moindre incident, la moindre attaque, le moindre classement. Et il faut dire que c’est une belle réussite. Car qui s’intéresse, parmi le grand public, aux maillots autres que le jaune (montagne, points, jeunes) à Paris-Nice, au Tour de Romandie, au Giro, à la Vuelta, au Dauphiné ou ailleurs ? Qui se préoccupe du plus combatif ? Du plus beau, du plus grand ? Et qui, sur le bord de la route, est capable de citer les noms des vainqueurs de ces épreuves 2010 ou 2011, parmi les plus importantes du calendrier ?
Depuis le scandale Festina et les autres affaires de dopage qui ont suivi, on a le sentiment qu’on ne vient plus pour la course mais pour voir passer la caravane publicitaire et ses nombreux véhicules. C’est devenu l’attraction principale, avec spectacle et animation garantis. Le peloton, lui, roule trop vite et il n’a rien à donner d’autre que l’image de courageux processionnaires à la recherche d’une victoire hypothétique.
A force d’escamoter les grands rendez-vous, il n’y a plus que le Tour, la plus grande et la plus difficile épreuve au monde, pour « sauver » sa saison. Et, poussés par leurs sponsors qui espèrent un retour maximum sur investissement, ils sont de plus en plus nombreux à croire au miracle. Les Français en tête, qui jouent les animateurs mais qui n’ont toujours rien gagné après seize étapes…
C’est tout le paradoxe du cyclisme moderne.
Bertrand Duboux
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