Le mont Ventoux et le Tour de France... Combien de victoires, combien d’échecs et de drames se sont-ils joués sur ses pentes ? Combien de légendes se sont-elles écrites à son sommet ? « Nous » y sommes : ce samedi 25 juillet, veille de l’arrivée sur les Champs-Elysées, le Mont Ventoux - qui culmine à 1912 mètres au-dessus de la plaine comtadine - se dessine. Pour la septième fois depuis la création du Tour. A 13h36, les rescapés du peloton s’élanceront depuis Montélimar, à la conquête de cet éden ou de cet « épouvantail » : 21 kilomètres à 7,6%. « Jamais, en plus d’un siècle, la montagne ne s’était à ce point rapprochée de Paris. Et quelle montagne, à vingt-quatre heures des Champs-Élysées : le Géant de Provence, le Ventoux ! Grâce à cette escalade mythique, à nulle autre pareille, le suspense ne sera pas seulement préservé ; il sera exacerbé jusqu’aux portes de la capitale. Quelle que soit l’avance du porteur du Maillot Jaune, il devra affronter avec crainte et humilité la plus redoutable ascension du Tour », jubile Christian Prudhomme, directeur de l’épreuve, pas peu fier de son coup.
Dans le Ventoux, les plus grands ont laissé leurs empreintes : Bobet, en 1955 ; Charly Gaul, en 1958 ; Poulidor, en 1965 ; Merckx, en 1970, Thévenet, en 1972, Bernard en 1987, Armstrong (et Pantani), en 2000 ; Virenque, en 2002. Consultant pour France Infos, L’Equipe et L’Equipe Télé, Jean-François Bernard, 47 ans aujourd’hui, apporte son témoignage sur sa victoire de 1987, sous le maillot Toshiba-La Vie Claire, l’équipe de Bernard Tapie. Au sommet, il endossa le maillot jaune et termina troisième du Tour cette année-là.
En 1987, Jean-François Bernard ravit le maillot jaune au sommet du Mont Ventoux et se classa troisième du Tour. Voici son témoignage sur sa victoire et son pronostic pour cette étape inédite à la veille de l’arrivée.
Pourquoi ce Mont Ventoux est-il si redouté des coureurs ?
Jean-François Bernard : C’est un véritable mythe : il s’y est passé tellement de choses, des plus dramatiques, comme la mort de Tom Simpson (en 1967, le britannique, épuisé, chute et décède au pied de la montagne) aux plus heureuses, comme le chrono de Charly Gaul, en 1958. (Surnommé « l’Ange de la montagne », le luxembourgeois réalise un temps incroyable, 1h2’9’’, qui restera la référence pendant trente ans). Et puis le paysage est incroyable, lunaire. On est dans un autre monde. Et on ne sait jamais quel temps il va faire : il peut pleuvoir la veille et faire très chaud le jour de l’étape. Et inversement. Voilà pourquoi ce col fait peur aux coureurs.
Pensez-vous que le Tour 2009 peut se jouer au cours de cette étape ?
J.F.B : La course était figée depuis le contre la montre de Montpellier jusqu’à l’étape Pontarlier/Verbier, au cours de laquelle Contador a pris le maillot jaune. Mais, comme dans tout feuilleton, on se demande quelle sera la fin et si elle ne va pas, effectivement, se jouer en partie dans le Ventoux, où il peut encore se passer plein de choses. Mais il ne suffit pas d’attaquer ; il faut aussi des équipiers capables de faire le boulot. Pour certains, le Tour se finira peut-être au pied du Ventoux.
Quel est votre favori ?
J.F.B : Alberto Contador. Il mettra un point d’honneur à gagner là-haut.
Et votre outsider ?
J.F.B. : Franchement, je n'en vois pas. Ce sera la grosse bagarre entre les costauds. Peut-être David Moncoutié tentera-t-il quelque chose...
En 1987, année de votre victoire, avez-vous obéi à une stratégie ou plutôt à votre instinct ?
J.F.B. : La stratégie, je n’en avais rien à foutre. Je n’en avais même pas parlé à Paul Koechli, mon directeur sportif ! J’y songeais depuis un moment et je savais que j’avais les jambes pour gagner. Le matin, je savais que j’allais être-là. En plus, dans ma tête, j’avais réfléchi à changer de vélo. Dans la première partie du parcours, j’avais choisi un vélo de chrono et dès que j’ai attaqué la côte, j’ai changé pour un vélo léger. Mais quoi qu’il arrive, c’est quand-même une partie de poker.
Dans quel état êtes-vous arrivé au sommet du Ventoux ?
J.F.B. : Très fatigué. On est toujours marqué en haut du Ventoux.
Cette victoire a-t-elle changé quelque chose dans la suite de votre carrière ?
J.F.B. : Ensuite, ce sont des jours exceptionnels ! Je ne suis pas nostalgique, mais j’ai une pierre du Ventoux sur mon bureau et mon maillot jaune est encadré sur un mur. Financièrement, je n’ai pas touché de prime, mais ça aide à renégocier votre contrat. Et dans les critériums, on ne gagne pas la même chose…
On dit que Bernard Tapie vous avait offert une Porsche…
J.F.B. : Il m’en a offert une, mais pas à la suite de ma victoire au Ventoux. C’était l’année d’avant parce que j’avais gagné l’étape Nîmes-Gap !
De tous les épisodes qui se sont déroulés au Ventoux, quel est le plus mythique pour vous ?
J.F.B. : La belle victoire de Richard Virenque, en 2002 et le geste d’Armstrong (à l’époque le « boss » du Tour) envers Pantani, le meilleur grimpeur au monde, en 2000, à qui il a laissé la victoire. Pantani était peut-être dopé, mais les mecs autour de lui ne devaient pas être loin de la même soupe…
Etes-vous retourné sur le lieu de votre exploit ?
J.F.B. : Récemment, j’y suis retourné tout seul au cours de mes vacances. Je dois bien ça au Ventoux : « L’épouvantail » a fait une grande partie de ma carrière qui s’est faite par hasard : j’ai un CAP de boucherie et je suis devenu coureur cycliste. Comme quoi il y a plein de champions qui jouent au baby-foot dans les bars et qui s’ignorent…
Propos recueillis par Philippe de La Grange
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