Trop de technologie tue la course et c’est mauvais pour le spectacle. Cette évidence contraint désormais les dirigeants de la Formule 1 à faire marche arrière pour redonner de l’intérêt à leurs Grands Prix. Le sport cycliste serait bien inspiré d’en faire autant pour éviter que les derniers de ses passionnés ne désertent les bords de routes ou le petit écran !
Un constat qui se vérifie depuis que le pédalier SRM livre ses données à un ordinateur de bord qu’on a installé sur les vélos et sur lequel les coureurs ont désormais les yeux rivés tout au long des étapes… Plus question de se mettre dans le rouge, de dépasser son seuil anaérobique ou de rouler à la sensation, comme les anciens. Plus question non plus de prendre des risques, comme pour forcer l’adversaire à se découvrir ou l’amener au point de rupture. On se fie aux infos délivrées et quand le compteur monte vertigineusement dans les tours, on lève le pied et on régule son allure. Comme Froome au Tour de Romandie dans l’ascension vers Champex-lac.
Pauvre vélo ! Mais où est donc le spectacle aujourd’hui ? Aucune attaque, aucune offensive digne de ce nom, rien. Quelques accélérations, sur vingt ou trente mètres, et on se rassied vite sur la selle de peur de subir l’effet boomerang. Décidément la course a bien changé. Et l’on ne me fera pas dire que c’est en mieux, qu’on va dans la bonne direction. Désormais, on roule au millimètre et le peloton contrôle toutes les mouvements à la seconde près. Les scénarii sont toujours les mêmes, écrits d’avance, et il faut un miracle ou un incident de course pour que les échappées aillent au bout. Il n’y a plus rien à se mettre sous la pupille, comme une histoire dont on connaît la fin dès la premier chapître. Mais on voit de plus en plus de chutes. Parce qu’on regarde plus son petit écran embarqué que la roue arrière du coureur qui précède. C’est une hypothèse. A moins qu’à cause des oreillettes on n’entende plus très bien le bruit ambiant et celui, familier, des patins qui freinent ! Autant de nouveautés et de changements qui apparaissent comme des gadgets. A utiliser à l’entraînement mais à éliminer en compétition.
Heureusement il reste Contador. Héroïque dans le terrible Mortirolo, là où Pantani avait forgé une partie de sa légende ! On n’ira pas jusqu’à comparer les deux as de la grimpette mais si l’Espagnol, engagé dans une poignante course-poursuite et amené au point de rupture le jour de la grande étape du Tour d’Italie, avait respecté les données de son SRM, il n’aurait sans doute jamais réalisé l’exploit qui lui a permis d’assommer Fabio Aru et le Giro !
Il fallait ça, d’ailleurs, pour lui permettre de préserver sa victoire finale contestée trois jours plus tard par une équipe Astana régénérée et ambitieuse. Du moins en ce qui concerne son leader, Fabio Aru. A croire que la médecine est passée par là et qu’on lui a refait les niveaux pour lui permettre de ressusciter lors des deux dernières étapes de montagne… Sinon comment expliquer cette métamorphose et comment aurait-il pu mettre Contador en difficulté vers Cervinia puis Sestrière au point de relancer l’intérêt pour une épreuve déjà jouée ?
Pour les organisateurs, il fallait un vainqueur prestigieux : ils l’ont eu. Il fallait aussi que son dauphin fût italien et non pas basque. C’est fait. Mais en stoppant le malheureux Mickael Landa, qui s’était envolé de façon irresistible sur la terre battue du colle delle Finestre, on a révélé le mauvais côté du cyclisme professionnel : celui du nationalisme, du favoritisme, des intérêts commerciaux et de la politique. Bref, le sport dans ce qu’il a de pire !
Bertrand Duboux
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