En l'absence de Contador, suspendu, et d'Andy Schleck, forfait, cette Grande boucle risque de se résumer à un duel entre sujets de sa très gracieuse majesté.
Chez Sky, rien n’est laissé au hasard :l’évidence saute aux yeux. Très professionnelle, l’organisation de l’équipe britannique se révèle petit à petit aux suiveurs qui découvrent le degré de perfection où l’ont amenée depuis sa création en 2010 ses responsables, David Brailsford, le manager général, ainsi que Sean Yate, l’un des directeurssportifs, et Shane Sutton, l’entraîneur en chef. Aucun détail n’est négligé, ni dans la préparation hivernale, ni dans les stages de printemps, ni dans l’approche des courses, ni dans la récupération après l’effort.
Cela permet à Bradley Wiggins et ses équipiers d’afficher sur le gros du peloton une supériorité qui commence à agacer. Comme à l’époque de Festina, de l’US Postal puis de la Discovery d’Armstrong. En course, seul Boonen, vainqueur de Paris-Roubaix en solo, avait réussi à faire échec aux Sky, bien mal inspirés tactiquement ce jour-là. Généralement tout est sous contrôle, cadenassé, et il n’est pas facile de passer entre les mailles du filet. On l’a bien vu sur le dernier Critérium du Dauphiné où Wiggins pouvait compter sur une garde rapprochée impressionnante, à l’aise sur tous les terrains, avec Boasson-Hagen, Rogers, Froome, Porte, Sioutsou, Knees et Pate. Tous de beaux gabarits, très efficaces et le couteau entre les dents. Et à l’arrivée, la victoire finale et trois Sky dans les quatre premiers !
On pense en particulier à Cadel Evans, toujours aussi combatif et qui se rendra en Belgique après dix jours passés à 2'000 mètres d’altitude, à Chandolin (Valais), avec son équipier suisse Steve Morabito. Un stage qui lui avait parfaitement réussi il y a douze mois. L’Australien sait profiter de toutes les circonstances pour attaquer là où on ne l’attend pas forcément et grapiller ainsi quelques secondes qui vaudront de l’or. Et il y aura des occasions : Seraing, Boulogne-sur-Mer notamment. On pense aussi à Samuel Sanchez, à Toni Martin (qui relève de blessure au visage), à l’étonnant Belge Van den Broeck, à Gesink, Brajkovic, Leipheimer, Nibali, Menchov et quelques autres, dont les Français Chavanel, Rolland, Coppel notamment.
Mais, après une semaine de démonstration sur les routes du Critérium, on ne voit pas trop qui pourrait malgré tout mettre les bâtons dans les roues des Sky pour le classement général. L’on souhaite donc bonne route et bien du plaisir aux suiveurs du Tour 2012. Et même aux téléspectateurs qui auront toutefois les magnifiques vues aériennes à disposition pour éviter l’ennui et faire passer le temps. Ça promet ! D’autant que les grands cols traditionnels ont été remplacés par de la moyenne montagne, certes plus propice aux mouvements offensifs, voire aux surprises éventuelles, mais moins attrayante. Et ne rêvons pas : les 105 kilomètres chronométrés cumulés vont peser lourd dans la balance, surtout ceux de l’avant-dernière étape entre Bonneval et Chartres (52 km). Gageons que les deux principaux favoris, Wiggins et Evans, s’y sont d’ores et déjà donné rendez-vous. Ils pourraient donc vouloir en garder pour la fin du Tour, ce qui risque bien de plomber l’ambiance.
On peut toujours miser sur quelques opportunistes et voir les Français jouer les animateurs et chercher des ouvertures : Voeckler ? (en délicatesse toutefois avec un genou sur le Critérium et la Route du sud), Jérémie Roy, Fedrigo ainsi que Danielson, Velits, Rui Costa, le surprenant vainqueur du Tour de Suisse qui, grâce au dévouement de Valverde, a résisté in extrémis à Fränk Schleck, en net regain de forme après son retrait du Giro ? Mais, suite au forfait d’Andy (fêlure du bassin après sa chute au Dauphiné et déjà à la traine depuis le début de saison), l’aîné des frangins luxembourgeois sera bien seul pour porter haut les couleurs de RadioShack malgré la présence du revenant Cancellara (fracture de la clavicule au Tour des Flandres) et des quadragénaires Klöden, Horner et Voigt. Aura-t-il la capacité de se transcender et de trouver la faille dans le système défensif des Sky ?
Fränk sera-t-il à la hauteur dans la difficile montée de La Planche des Belles Filles, au-dessus de Belfort, à l’occasion de la première arrivée en côte (7èmeétape) ? Ou le lendemain vers Porrentruy à travers le Jura suisse, sur un terrain accidenté qui promet quelques moments chauds ? Fort d’une performance encourageante ces deux deux jours, pas trop distancé non plus le lendemain contre la montre vers Besançon (38 km), il pourrait bien figurer parmi les outsiders. Tiendra-t-il les trois semaines ? Parce qu’il affiche déjà, dit-il, soixante jours de course et qu’on l’a fait courir à droite et à gauche depuis quatre mois… Les turbulences nées de la fusion avec le groupe américain ainsi que les contrariétés et les tensions avec Johan Bruyneel, l’ont profondément perturbé cette saison et des questions se posent à son sujet. L’annonce que son nouveau manager ne sera pas sur le Tour (suite aux accusations de l’agence américaine antidopage) favorisera-t-elle son épanouissement ?
Pour le reste, les Alpes se résument cette année à la montée du Grand Colombier avant l’arrivée à Bellegarde-sur-Valserine et à l’étape de La Toussuire après Madeleine et Croix de Fer. La sélection sera sûrement plus importante dans les Pyrénées entre Pau et Bagnères-de-Luchon (via Aubisque, Soulor, Tourmalet, Aspin et Peyresoudre). A cause aussi de la fatigue de la troisième semaine et de la difficile montée vers la station de Peyragude après le franchissement du Port de Balès et de Peyresourde. Joaquim Rodriguez se réservant pour la Vuelta, le jeune et prometteur Colombien Quintana passant son Tour cette année, il manquera toutefois de réels grimpeurs pour inquiéter Wiggins. Il est donc à souhaiter que Ryder Hesjedal, l’inattendu vainqueur du Giro, ait récupéré de sa campagne d’Italie et parvienne à s’inviter à la fête. Ce qui serait tout de même la sensation de l’année !
En attendant, le peloton ferait bien de réviser son anglais…
Bertrand Duboux
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