Avec la crise, elle s’est un peu réduite : moins d’annonceurs, moins de marques, moins de véhicules. Cependant elle est indissociable de la Grande Boucle et cette année elle compte deux nouveaux entrants parmi les 160 véhicules et les 31 marques présentes : « Les Galettes Saint-Michel » et les sirops « Teisseire ». La caravane publicitaire fait de la résistance : selon un sondage commandé par Amaury Sport Organisation (ASO), elle est la deuxième motivation du public après les coureurs pour venir passer la journée sur les routes du Tour de France. On estime aussi que 76% des français l’ont déjà vu passer au moins une fois dans leur vie. Bien sûr, rien ne pourra égaler son record réalisé pour le Tour du centenaire en 2003 : 200 véhicules sur 20 kilomètres pour 45 minutes de spectacle.
Henri Desgrange, le père du Tour, avait imaginé cette animation pour une histoire de gros sous. « En 1930, raconte Jean-Paul Brouchon*, suite à sa décision de faire disputer le Tour suivant la formule des équipes nationales, l’organisation doit prendre à sa charge cinq formations (coureurs, directeurs sportifs, mécanos, masseurs, machines, pièces de rechange, nourriture et hébergement). Il est décidé de faire appel à la « réclame ambulante ». Opportuniste, Paul Thévenin, chef de publicité chez « Menier », s’engouffre aussitôt dans la brèche et la marque de chocolat distribue plusieurs tonnes de tablettes de chocolat et du chocolat chaud à l’arrivée à chaque coureur. « Henri Desgrange bougonne un peu, estimant qu’on voit plus le chocolat « Menier » que les coureurs, mais la survie de son épreuve est à ce prix », poursuit le journaliste. « Bel » (fromage), « Le Lion Noir » (cirage), « Bayard » (réveil), « Deft » (biscottes), « Noveltex » (montres) lui emboîtent le pas : un embryon de caravane publicitaire est né avec six véhicules seulement ! « Ricqlès », « Picon », « Byrrh » et « Lucky Stricke » - « qui n’irrite pas la gorge et ne fait pas tousser », selon André Leducq, le double vainqueur du Tour, en 1930 et 1932 - la rejoindront l’année suivante.
Aujourd’hui, la caravane publicitaire est devenue un gisement « grandeur nature », estimé aentre 12 et 15 millions de spectateurs massés sur les routes. « Un fabuleux levier de notoriété », confirme Arnaud Peyroles, président-fondateur d’« Idéactif », dont l’atelier de fabrication est implanté à Pithiviers (Loiret) et qui accompagne sept marques sur le Tour : « Vittel », « Ricoré », « Teisseire », « X-Tra », « Saint-Michel » « La Française des Jeux » et « Caisse d’Epargne ». « Notre objectif est de réussir la rencontre entre les marques et leurs publics. Si on émerveille tous les gens qui sont sur le bord de la route, on a gagné. Rien de tel que le Tour de France pour créer ce lien privilégié. En 2007, « La Vache qui rit » a augmenté sa part de marché de 2% au moment du Tour et « Aquarel », dont le lancement avait été raté, a décollé grâce à sa présence sur la Grande Boucle ». « Festina » (Montres) est aussi un bon cas d’école. Malgré l’éviction pour dopage, en 1998, de l’équipe qu’elle sponsorisait, la marque est toujours là et se porte très bien.
Pour son entrée dans la caravane - avec cinq véhicules publicitaires multicolores, des animatrices et un orchestre de samba -, « Teisseire » (qui fêtera ses 300 ans d’existence en 2020) frappe fort avec 650 000 dosettes distribuées en trois semaines (soit 30 000 par jour !) et une dégustation ambulante à l’arrivée. Mais pour y arriver, les étapes à franchir ont été nombreuses. « La caravane, c’est un langage, il faut trouver les bons mots, résume Arnaud Peyroles. « Teisseire » est une création originale. Le principe du sirop, c’est la couleur. Il fallait qu’on arrive à faire éclater les couleurs au soleil du Tour. C’est le boulot de Pithiviers : passer du dessin au concept. Et jusqu’à la mi-juin, nous n’avions pas trouvé la bonne colorisation. Notre projet était trop fade et pas asses scintillant. »
Il y a 80 ans, Henri Desgrange faisait un peu la manche en inventant la réclame ambulante pour financer sa réforme à peu de frais. Il n’imaginait sans doute pas qu’elle deviendrait ce gigantesque barnum bruyant et chatoyant qui s’étire sur les routes du Tour durant trois quart d’heure. Et se retournerait dans sa tombe s’il savait qu’aujourd’hui, le ticket moyen d’entrée dans la caravane publicitaire pour une marque est de l’ordre de 300 à 500 000 euros ! Une paille, comme on dit chez « Teisseire »…
Philippe de La Grange
* Les petites histoires de la Grande Boucle – Editions Jacob-Duvernet
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