Le journaliste Gilles Le Roc’h, président de l'AIJC (Association Internationale des Journalistes du Cyclisme), rend hommage à son ami Jean-Paul Brouchon.
" Ce n’est pas un grand journaliste qui nous a quittés, c’est un homme bien. Jean-Paul Brouchon, pour la première fois de sa vie, a arraché son dossard. Il a lutté, jusqu’au bout de ses forces, de son courage, de sa ténacité légendaire et même de son optimisme qui m’avait ému aux larmes il y a un mois, mais la route, qu’il a si souvent arpentée, de son humeur guillerette, de son regard toujours en éveil, de cette voix inoubliable et qui nous a tous habités, s’est arrêtée. C’est inconcevable.
Jean-Paul, dans mon propre cheminement, tient une place considérable et je vous le dis, c’est un cri, je vais finir par haïr ce mois de juin qui, avec acharnement, m’a privé de mes guides, mon père, Pierre Chany et, toi, Jean-Paul avec qui j’avais une relation complice et sur qui tant de fois, sans que tu ne le saches, j’ai reposé mes questionnements et mes doutes avant que ta sagesse et ton bon sens ne m’apaisent.
" Je l'ai beaucoup écouté, je ne me suis jamais ennuyé "
Mon père m’avait fait regarder le cyclisme de mes yeux d’enfants. Pierre Chany, de son écriture d’une qualité jamais démentie, avait fixé ma vocation de journaliste et de témoin du Tour de France. Jean-Paul Brouchon, de son « Sport et Musique » sur France Inter avait accompagné mes dimanche après-midi de jeune garçon, me donnant envie de le suivre au gré des lancements qu’il opérait sur un court de tennis, sur un stade de rugby, sur une piste de ski, bien sûr sur une ligne d’arrivée cycliste. Il avait le sens du pragmatisme et de la vérité. Je l’ai beaucoup écouté, je ne me suis jamais ennuyé.
Je devinais de sa voix que cet homme-là était bon. Je l’imaginais bon camarade, bon patriarche. Bon. Bon journaliste, passionné de son métier, des disciplines qu’il commentait avec un enthousiasme toujours mesuré et laissant au sport et aux sportifs le rôle principal, bien loin de tous ceux qui hurlent et s’emportent et me déplaisent.
Je ne savais pas qu’un jour je le rencontrerai quand jeune animateur d’une radio libre « FM 94 », j’animais tous les dimanche un « Mélody Sport » qui avait évidemment été inspiré par lui. Je ne lui ai jamais dit. Il en aurait souri.
Jean-Paul, tu imagines bien que depuis ma première apparition en 1987, dans ce monde magnifique du journalisme dans le cyclisme, j’en ai côtoyé des personnages mais toi, tu étais unique. Tu avais un physique imposant, et je te revois quitter le Tan-Sad de ta moto pour gagner la tribune eurovision, le visage un peu poussiéreux, d’une petite tape sur l’épaule libérer ton motard et gagner ta place où tu allais à l’essentiel. Avec méthode, un peu maniaque. Le direct fini, tu regagnais la salle de presse et puis tu écrivais sur une page d’écolier, de cette jolie plume lisible de tous, la chronique que tu devais enregistrer pour le soir, le matin, sans te reprendre. Et tu les gardais tous ces cahiers qui mis bout à bout résument ton exceptionnelle carrière, tes tours du monde, tes Tours de France et tes tours de la question.
" Il nourissait mes rêves de gamin "
Besogne faite, venait le temps des bons moments, de la camaraderie et des soirées qu’en bout de table tu animais en riant, en plissant tes yeux, en savourant le moment présent. Je me souviens d’un soir d’étape du Tour d’Italie 1989 que Laurent Fignon, que tu aimais tant, s’apprêtait à gagner. L’étape avait pris fin à La Spezia et nous nous étions retrouvés dans un petit port de la côte ligure, toi, ton chauffeur Michel Mottier, le mien Michel Mellix et moi. Je suis orphelin de vous tous, de cette soirée magnifique où tu avais tant et tant envie de me parler, en buvant une grappa. Deux peut-être…
Oui il m’est arrivé de me dire que j’avais bien de la chance. Finalement, c’était une fierté, je faisais le même métier que cet homme qui me parlait tous les dimanche après-midi et nourrissait mes rêves de gamin.
Et puis Jean-Paul, rassurant par ton physique et par tes valeurs, tu m’as accordé ton amitié, tu as passé de bons moments, à l’Auberge Bressane, au Vieux Paris-d’Arcole, au restaurant du Stade, à me livrer des anecdotes du temps où tu étais allé travailler en Afrique, du temps où tu étais un sacré joueur de tennis, du temps où tu avais été engagé par Georges Briquet, de tes rencontres, de tes joies, de tes bons souvenirs. De ta famille dont tu étais fier, de ton goût pour l’Opéra, de tes projets d’écriture… Jamais de tes regrets, jamais de tes peines.
Tu étais mon dernier phare et puisque tu as finalement rejoint mon père et Pierre, même si je ne doute pas que vous allez beaucoup parler de vélo là-haut, je vais devoir m’habituer à vivre sans ceux qui m’ont donné l’envie de vivre comme je vis.
Tu vas me manquer Jean-Paul, bien plus que je ne l’écris… "
Gilles Le Roc’h
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