Par Gilles Le Roc'h
Notre confrère, président de l'Association Internationale des Journalistes du cyclisme (AIJC), nous adresse cet article depuis l'Australie où se déroule le le Tour Down Under.
Nous nous souvenons tous de l'époque, pas si lointaine, quinze ans peut-être, d'une rentrée cycliste dans les frimas parfois neigeux de l'Etoile de Bessèges. Au sortir de camps d'entraînements organisés dans le sud de la France, en Italie ou en Espagne, les coureurs donnaient leurs premiers coups de pédale en février. Loin des caméras de télévision, ils scrutaient les nouveaux maillots, les nouvelles têtes et l'éclat des cadres en acier dans ces courses suivies par une poignée de journalistes chanceux.
C'était il y a quinze ans quand les pays de la vieille Europe servaient de cadre au sport cycliste, s'organisaient encore comme au début du vingtième siècle pour le régenter, le dominer, vivre ses meilleures histoires et assourdir ses mauvaises rumeurs. Il avait alors la gentillesse d'accueillir des champions venus d'Angleterre ou du bout du monde après qu'ils eurent fait leurs preuves dans des clubs souvent parisiens, l'ACBB notamment
Le Tour Down Under, fantastique course australienne a lancé l'année cycliste 2010 ce 19 janvier entre deux petites villes de ce bout du monde, Clare et Tanunda. Nous sommes loin de la vieille Europe et des stages d'entraînement de Seillans ou d'Opio. Nous sommes au soleil d'un pays fou de cyclisme, soleil source de renaissance et d'avenir.
N'en doutons pas, le cyclisme a un avenir. Il reste partout dans le monde le meilleur investissement pour les sociétés qui le font vivre, son rapport qualité prix est exceptionnel. Oui, il a un avenir mais bien plus ici en Australie, ou dans tous les pays anglophones. Chez nous, en Europe, le cyclisme stagne à défaut de régresser.
C'est vrai, le cyclisme anglophone a la chance de reposer sur une histoire récente, d'être né avec Sean Kelly, Stephen Roche ou Greg LeMond, plus encore avec Lance Armstrong. Son histoire est vierge de disgrâces, de non-dits ou d'un passé trop lourd de silences. Il n'a pas à se justifier, à se laver trop souvent de son passé.
Quand la vieille Europe se doit d'admettre qu'elle s'est parfois fourvoyée, qu'elle s'est surtout endormie sur ses acquis sans jamais penser à les faire fructifier, les Anglophones s'éveillent à cette discipline magnifiée par les écrans de télévision, n'éprouvent pas le besoin de nourrir une posture de repentis. Ils regardent devant, droit devant.
Leur passion pour ce sport qui les rassemblent, d'un seul langage, par delà les frontières et les continents, est la source de leur émancipation, de leur statut aujourd'hui dominant dans le cyclisme. Les marques de cycles américaines ont inondé le marché, les équipes ajoutent à leur compétence sportive une politique de marketing et de communication aggressive et efficace. Les télévisions font le reste.
Au départ du Tour Down Under réunissant les dix sept meilleures équipes mondiales, il faut compter trois formations américaines (Columbia-HTC, Radioshack, Garmin), une britannique (Team Sky), une danoise (Saxo Bank) parlant exclusivement l'anglais. 45 coureurs Anglophones pour 12 Français et 7 Belges, la balance n'est plus la même.
Les créations de course sont souvent anglophones aujourd'hui, les disparitions sont légion en Espagne et en Italie, une menace fréquente en France.
Il y a quinze ans, le cyclisme de la vieille Europe était un groupement d'artisans sûr de son savoir faire et de sa tradition. Pour n'avoir pas su anticiper et préparer demain, il n'a rien vu venir. Dans ses structures et ses projets, il est aujourd'hui dépassé, dominé, parfois humilié.
Certes la vie est une parabole, il faut donc croire en la force des cycles et au retour en force de la tradition mais rien ne permet de croire qu'une réaction soit déjà envisagée. Pourtant, rien ne se fera, c'est une évidence, sans une remise en cause absolue de notre fonctionnement.
D'accord, l'Espagne domine encore les Grands Tours avec Alberto Contador et Alejandro Valverde, l'Italie peut encore compter sur Damiano Cunego ou Filipo Pozzato, la France sur la force inaltérable du Tour de France mais l'écart se creuse chaque jour. Et la relève sportive, surtout économique, n'est plus assurée.
Quand les Teams Sky, Columbia ou Garmin rivalisent dans le "high tech", les équipes françaises se posent toujours des questions sur leur avenir, sur le moyen de détecter le champion qui nous manquent tellement. Elles font face à une politique fiscale qui accroît la différence, à la suppression des droits à l'image, à la lourdeur d'un système qui va à l'encontre de leurs intérêts. Elles végètent et ne voient pas encore le moyen de faire mieux. Parce que son passé est lourd de traditions, parce que le cyclisme il y a 100 ans, c'était déjà deux jambes faisant avancer un vélo, rien d'autre. La tradition est lourde et occulte les sourires. Ici, en Australie, il éclaire le visage de Jack Bobridge, Cameron Meyer et bientôt Michaël Hepburn, les nouvelles stars.
Il y a quinze-vingt ans, Stephen Roche, Sean Kelly et Greg LeMond étaient des attractions. Et en plus ils gagnaient des courses majeures. Aujourd'hui leurs jeunes compatriotes ne rêvent plus d'un club français ou d'équipes professionnelles qui s'amusent de leur accent, pour tenter leur chance. Ils débutent leur carrière sous le soleil, source de renaissance et d'avenir. Puisse un jour le soleil se lever de nouveau à l'ouest !
Gilles Le Roc'h, à Adélaïde
A sa naissance (a l'époque du Grand-bi Ordinary Penny farthing), le cyclisme parlait anglais (on dit qu'Armand Peugeot a lancé les cycles Peugeot à son retour d'Angleterre).
Qu'est-ce qui explique que les "latins" (et le Benelux) aient pris le dessus pendant une centaine d'année ?
Rédigé par : Mart1 du blog de l'Ardoisier | 22 janvier 2010 à 17:22
Monsieur Le Roc'h,
Deux questions à vous poser:
- votre nom breton indique que vous devez bien connaitre l'histoire de cette vieille terre de cyclisme qu'est la Bretagne ? Ca doit vous conduire à certaines comparaisons ?
- dans quel journal sportif exercez-vous ?
Car votre article, fort intéressant, m'amène à vous faire part de mes deux remarques suivantes:
- ce cyclisme anglo-saxon est pour moi HORS SOL (un peu comme certains élevages d'animaux en Bretagne). Il n'a ni RACINES, ni HISTOIRE, ni MEMOIRE.
- ce cyclisme anglo-saxon est aussi pour moi le cyclisme SYNTHETIQUE; est-il nécessaire de développer ?
Certes, les responsables cyclistes européens ne sont pas exempts de critiques; notamment leur faiblesse, que dis-je, leur inexistence, à l'égard des autorités publiques, politiques, médiatiques et médicales, pour obtenir des réformes positives à leur sport, et un juste traitement. Quel lobbying ont-ils pratiqué, malgré leur poids sportif ? Aucun !
Enfin, sans entrer dans des comparaisons, je trouve très étonnant, pour ne pas dire autre chose, que la première course cycliste professionnelle de la saison 2010, TELEVISEE, soit un critérium australien de ...51 kms !
On est loin, très loin, de Milan-San Remeo, Paris-Roubaix, du Tourmalet, ou de (feu) le circuit de l'Aulne à Chateaulin avec 150 kms, 25 ascencions de la côte de Stang Ar Garon, 100 000 spectateurs payants , sans que la TV (notamment publique) n'ait jamais daigné s'y intéresser !
Au fait, d'où venaient ROBIC, BOBET, HINAULT, et aussi FIGNON, et encore ANQUETIL et POULIDOR ? De la vieille Europe je crois !
Je pense à la réflexion de l'ancien député-maire-ministre de RENNES, Edmond HERVE, organisateur lui-même pendant ses 30 ans de mandat du GP de Rennes (qui a comme par hasard disparu), et qui disait ceci:"Le cyclisme est comme un arbre; pour qu'il soit haut, branchu, feuillu, solide aux tempêtes, il faut TOUJOURS SOIGNER SES RACINES".
C'est le coeur du dossier.
Bien Cordialement.
Rédigé par : BH78 | 22 janvier 2010 à 23:31
Bonjour Monsieur
Je suis Breton en effet et je pense bien connaître l'histoire de notre sport.
Effectivement le cyclisme anglophone (je préfère ce terme) est sans histoire et il a bien de la chance.
Sa jeunesse lui permet d'apprécier son éclosion au plus haut niveau avec enthousiasme, sans avoir à se justifier d'un passé douteux. J'ai la chance de beaucoup voyager, de voir des courses dans ce pays-là et vous ne pouvez imaginer la ferveur des fans, les milliers de cyclos qui se retrouvent au moment des courses Parmi eux, c'est la grande différence avec la France, énormément de jeunes.
Il faut accepter que nous ne sommes plus les plus influents et je dois dire que nous l'avons bien mérité. C'et vrai, Robic, Bobet, Anquetil, Poulidor, Hinault, Fignon et beaucoup d'autres. Est-ce la faute des anglophones si nous n'avons pas su préparer la relève ? Est ce de leur faute si nos bons juniors depuis 20 ans ne font pas de grands champions ? Est-ce de le leur faute si notre cyclisme s'est sclérosé à force de querelles puériles et relevant de la cour d'école ? Ou bien encore est-ce de leur faute s'il y a encore des patrons d'équipe en France (à part sans doute Marc Madiot) qui pensent que le cyclisme se pratiquera toujours à la Robic, Bobet et même Fignon ?
Bien sûr non. Il est aisé ensuite de faire une allusion au dopage. C'est vrai beaucoup d'Anglophones se sont fait pincer ces dernières années, et c'est tant mieux mais croyez-vous qu'ils étaient les seuls ? Pensez-vous qu'un Robbie McEwen, par exemple, a été un sprinteur génial parce qu'il se dopait ? Pensez-vous que Lance Armstrong était le seul à se doper ? Je note d'ailleurs que tous ses grands rivaux se sont fait pincer. Pas lui.
Que vous raillez une télévision qui retransmette un critérium me rend rêveur. Ici en Australie, il y a tant d'amoureux du cyclisme qu'ils retransmettent toutes leurs courses et toutes les grandes courses. N'est ce pas mieux pour la promotion du cyclisme ? Votre remarque est d'autant plus "vache" que les recettes de cette retransmission sont allées à la lutte contre le cancer. Il s'agissait je vous le rappelle de la Cancer Council Classic.
Je comprends bien que la dominance anglophone vous agace, elle ne me fait pas forcément plaisir mais force est de constater que ce mouvement est en marche. Et pour contrer ce mouvement, que voyons nous en France, en Italie ou en Espagne qui puisse nous faire espérer un renouveau ? Rien et ce n'est pas la faute d'un cylisme nouveau, sans histoire ni racines. C'est vrai, les pousses sont jeunes mais elles ont une croissance étonnante. Quand elles deviendront racines, espérons que nos racines ne seront pas fossiles.
Bien à vous
Gilles Le Roc'h
Rédigé par : Gilles Le Roc'h | 25 janvier 2010 à 11:17