Voici venu le temps de Paris-Roubaix. " La dernière folie que peut encore s’offrir le sport cycliste ", a écrit Jacques Goddet après avoir suivi, il y a trente ans, la marche triomphale de Bernard Hinault vers une victoire d’anthologie sur ses sentes d’un autre âge.
Les coureurs depuis longtemps y pensent. Ils ne sont pas les seuls. Dans les états-majors des équipes on a planifié l’épreuve. On a fignolé pour les coureurs des machines pourvues des dernières innovations techniques pour atténuer la douleur que provoque le passage répété sur les pavés. Même les voitures des directeurs sportifs ont subi des modifications comme l'installation d'une plaque de métal sous le châssis pour éviter l’éclatement d’un réservoir.
Les suiveurs, eux aussi, y pensent. Il me souvient d’y avoir côtoyé Georges Brassens, à peine sorti d’une clinique pour anéantir une crise de coliques néphrétiques plus aiguë que les autres, mais désireux avant tout de voir de près ce monument de la course cycliste. Il me souvient encore d’y avoir vu dans la salle de presse, des écrivains de renom torturer leur stylo pour tenter de dégager l’essentiel des mille et une choses qu’ils avaient vu, les yeux écarquillés autant de surprise que de bonheur. Car rien n’est plus difficile que de relater un Paris-Roubaix. L’événement est à tous les niveaux de la course. Aussi bien en tête qu’en queue du peloton. La chute ou la crevaison sont le lot de tous. Parfois, avec des situations comiques (Jacky Mourioux par exemple, recherchant l’une de ses chaussures dans une mare de boue après une chute...). Parfois, avec des situations plus cruelles (Chute de Museeuw dans Wallers qui fit craindre une suite néfaste à sa carrière) ...
Tels des pantins désarticulés le plus souvent, les coureurs cheminent avec difficulté pour rejoindre l’arrivée. Car le coureur souffre, quel qu’il soit. Laurent Fignon demandait : « Qu’est-ce qu’un coureur le lendemain de Paris-Roubaix ? ». « C’est un père de famille perclus de douleurs », répondait-il.
Il ne reste plus actuellement que 70 km de pavés fréquentables par la course. Les autorités locales veillent à leur entretien. Elles savent trop ce que la course donne à leur région. Un spectacle inégalable d’abord, une occasion de faire la fête entre spectateurs ensuite et enfin le rassemblement hétéroclite de divers nationalités européennes sous le signe du cyclisme. Belges sans distinction d’appartenance géographique, Hollandais, Allemands, Luxembourgeois côtoient les Nordistes. Il existe même des endroits où l’on se retrouve d’année en année. Chacun ayant à cœur de faire goûter à son voisin les spécialités gastronomiques de son pays ou de sa région.
Depuis peu, des Américains du Nord, alléchés par les images vues à la télévision, viennent par petits groupes uniquement pour assister et participer à cette fête du cyclisme. Chacun peut alors respirer l’air de Troivilles (le premier secteur pavé), puis filer à Saint-Python, rejoindre Capelle-sur-Ecaillon (le petit ruisseau qui traverse la commune), avant de stationner dans la trouée de Wallers-Arenberg (de son vrai nom, la " Dreffe des Boules d’Hérin "), haut lieu stratégique de la course.
Cette année, pour corser l’affaire et empêcher les inévitables regroupements après Wallers, l’organisation a rajouté un secteur inédit, celui de Millonfosse, dont on ne dit que du mal. Si le cœur vous en dit, après une belle omelette au Maroilles chez "Françoise", poussez encore un peu plus loin votre parcours. Voici Bersée, le chemin des Abattoirs, celui de la Vache Bleue, le moulin de Vertain dont les ailes ne frémissent que lors de Paris-Roubaix, voici encore le très célèbre Carrefour de l’Arbre où il fera bon après la course venir se restaurer dans la coquette brasserie qui vit toute l’année au rythme de Paris-Roubaix. Voici maintenant le vélodrome. Bien avant d’y accéder, le coureur entend les cris de la foule. S’il est seul, il entend les spectateurs scander son nom. Il en a toujours la chair de poule. Il entre sur le vélodrome. La foule lui réserve un accueil qu’il n’oubliera jamais. Paris-Roubaix. C’est cela. C’est une course cycliste. C’est une ambiance qui se hume et dont on se délecte.
Cette année les favoris ont pour nom Chavanel (Hé oui un coureur français parmi les favoris !), Boonen, Cancellara, Gilbert, Flecha, Ballan (mon favori), Pozzato, Devolder, Van Avermaet et un membre de la formation Rabobank.
" Mais qui sont ces coureurs ? ", me demanda un jour un confrère chinois qui avait fait le lointain voyage de Pékin pour découvrir en ma compagnie Paris-Roubaix, une édition particulièrement poussiéreuse. " Monsieur, ai-je répondu, ces coureurs semblables à des spectres fuligineux recouverts de boue et de poussière qui entrent sur le vélodrome, ce sont les dieux qui sortent de l’enfer ".
Jean-Paul
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